Pour une ville sans surdoses

Au Québec et partout en Amérique du Nord, les surdoses ont atteint des proportions épidémiques. Dans la province, de juillet 2021 à juin 2022, 490 personnes ont perdu la vie face à cette autre épidémie. Depuis cinq ans, c’est 2268 vies perdues au Québec.

Laurent Trépanier Capistran
Laurent Trépanier Capistran Coalition des organismes communautaires québécois de lutte contre le SIDA (COCQ-SIDA) et 30 autres organismes*

Pour mettre fin à cette épidémie, nous avons besoin d’une nouvelle approche — quelque chose que des municipalités comme Montréal ont le pouvoir de mettre en œuvre.

L’approche actuelle face aux drogues ne s’attaque pas aux causes des surdoses. Au contraire, elle les aggrave. La police continue d’arrêter des personnes qui possèdent des drogues pour leur consommation personnelle en visant de manière disproportionnée les personnes racisées ou autochtones par rapport aux personnes blanches. On précipite ainsi des individus dans un processus judiciaire qui les laissera souvent stigmatisés par la criminalisation. Les descentes de police poussent aussi le marché noir à couper les drogues connues des consommateurs·trices avec des substances inconnues, imprévisibles et de plus en plus toxiques. La répression pousse également les gens à éviter l’arrestation plutôt qu’à adopter des pratiques sécuritaires lorsqu’ils consomment des drogues.

Une approche bénéfique, recommandée depuis longtemps par les organismes qui travaillent dans la rue ou auprès des personnes utilisatrices de drogues, consiste à aborder les drogues sous l’angle de la réduction des méfaits.

Cette approche préconise, entre autres, la décriminalisation des drogues. C’est un secret de Polichinelle : la décriminalisation des drogues permet de réduire les morts par surdose, de donner un meilleur accès aux services pour les personnes qui les utilisent, d’enrayer la propagation du VIH et du VHC, et de réduire la stigmatisation qu’on associe à la consommation. Cette approche permet aussi d’aborder la crise des surdoses comme ce qu’elle est, soit une problématique de santé publique.

La décriminalisation des drogues bénéficie d’un soutien croissant en Amérique du Nord et en Europe. À cet effet, la directrice régionale de santé publique de Montréal, Mylène Drouin, déclarait en juin 2022 qu’il fallait décriminaliser la possession simple de toutes les drogues sur le territoire de Montréal, notamment pour les bénéfices associés à la santé que cela représente. Des universitaires reconnaissent également les bénéfices d’une telle mesure, et les organismes communautaires s’époumonent à demander qu’on décriminalise la possession pour consommation personnelle. Même le SPVM s’est prononcé en faveur de la solution. Malheureusement, François Legault a déclaré que son gouvernement ne décriminalisera jamais la possession de drogues au Québec.

La position de M. Legault n’empêche toutefois pas d’agir à d’autres échelles – notamment à l’échelle municipale. Vancouver et Toronto ont tous deux demandé à Carolyn Bennett, la ministre de la Santé mentale et des Dépendances, une exemption à la loi ; Vancouver l’a reçue, alors que Toronto attend sa réponse.

Montréal est dans une position contradictoire. En novembre 2018, la Ville s’engageait à développer une stratégie municipale de réduction des méfaits à travers son implication dans les villes sans sida. En plus, en 2021, une résolution a été rédigée par le conseiller indépendant Marvin Rotrand pour suivre l’exemple de Vancouver et de Toronto et demander une exemption des lois sur la possession de drogues. Le parti au pouvoir, Projet Montréal, a modifié la résolution pour demander au gouvernement fédéral de décriminaliser les drogues partout au Canada. Le gouvernement fédéral, bien qu’il soit manifestement disposé à accorder des exemptions aux lois sur les drogues dans certaines juridictions, n’est pas prêt à retirer la possession de drogues du Code criminel.

L’administration actuelle de Montréal est donc favorable à la décriminalisation des drogues… mais n’est pas disposée à utiliser ses pouvoirs en tant que municipalité pour demander une exception et s’assurer que la possession de drogues soit effectivement décriminalisée sur son territoire.

Cette position est à la fois hypocrite et mortelle. Ainsi, depuis la résolution prise par Montréal, 702 personnes sont décédées des suites d’une surdose au Québec.

Nous sommes épuisé·es de regarder nos sœurs, nos frères, nos ami·es, nos parents, nos collègues, nos concitoyen·nes mourir dans la plus grande indifférence. Nous voulons un Montréal qui prend soin des gens qui le façonnent.

Nous revendiquons que Montréal agisse immédiatement en demandant au gouvernement fédéral une exemption aux lois sur la possession de drogues pour mieux protéger les Montréalais·es et faire un pas vers une ville sans surdoses.

* Cosignataires : Tania Charron, Action Jeunesse de l’Ouest-de-l’Île ; Daphné Barile, Action santé travesti(e)s et transsexual(le)s du Québec ; Emilie Renahy, AIDS Community Care Montreal ; Valérie Samson, ARCHE de L’Estrie ; Gabriel.le Crovasce, Association Étudiante Modulaire en Sexologie (UQAM) ; Anna Aude, Black Indigenous Harm Reduction Alliance ; Laurence Mersilian, Centre Associatif Polyvalent d’Aide Hépatite C ; Vincent Roy Landry, Centre des R.O.S.É.S. de l’Abitibi-Témiscamingue ; Ken Monteith et Laurent Trépanier Capistran, Coalition des organismes communautaires québécois de lutte contre le SIDA ; Hélène Légaré, Coalition PLUS ; Carlos X, Collectif Opposé à la Brutalité Policière-COBP ; Adore Goldman, Comité Autonome du travail du sexe ; Martin Pagé, Dopamine ; Magali Boudon, GRIP Prévention ; Nadia Joannides, Groupe d’Entraide à l’Intention des Personnes Séropositives et Itinérantes ; Charlene Aubé, IRIS Estrie ; Julien Montreuil, l’Anonyme ; Mollie L-Schlachter et Mireille Poirier, le DISPENSAIRE ; Stéphanie G-Dubé, Le PIaMP ; Valérie Pelletier, Maison Benoit Labre ; Ann-Marie Trépanier, Méta d’Âme ; Patrick Labbé, MIELS-Québec ; Lateef Martin, Miscellaneum Studios ; Maxime Bonneau, PACT de rue ; Line St-Amour, Plein Milieu ; Guillaume Tremblay-Gallant, Portail VIH/sida du Québec ; Adrienne Pan, Quebec Public Interest Research Group Concordia ; René Obregon-Ida, Rue Action Prévention (RAP Jeunesse) ; Alexandre Fafard, Sidalys ; Olivier Gauvin, Table des organismes communautaires montréalais de lutte contre le VIH/sida ; Kate Larkin, Tandem Mauricie

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