Terrebonne et 18 de ses policiers poursuivis pour profilage racial

Dans un dossier « sans précédent », la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) se tourne vers la Cour supérieure du Québec dans l’espoir d’obtenir un dédommagement de 205 000 $ pour un résident noir de Terrebonne qui a été intercepté par des policiers à 15 reprises en moins de trois ans simplement parce qu’il conduisait la voiture de sa femme.

Selon la CDPDJ, qui a validé 13 des 15 plaintes liées à des interpellations policières que lui avait soumises Pierre Marcel Monsanto, l’homme d’origine haïtienne aurait été victime de discrimination, de profilage racial et de harcèlement de la part de 18 agents du Service de police de la Ville de Terrebonne. Normalement, ce type de dossier est porté devant le Tribunal des droits de la personne, mais la CDPDJ a décidé d’opter cette fois plutôt pour la Cour supérieure dans le cadre d’une demande introduite le mois dernier.

« Nous sommes ici pour vous parler d’un cas qui est vraiment sans précédent », a lancé d’emblée mercredi, en conférence de presse à Montréal, le directeur général du Centre de recherche-action sur les relations raciales (CRARR), Fo Niemi, qui accompagne M. Monsanto dans le processus judiciaire.

Le caractère exceptionnel de cette action judiciaire tient non seulement au fait que la CDPDJ se tourne vers la Cour supérieure pour faire entendre celle-ci, mais aussi à l’importance des sommes réclamées pour dédommager Pierre Marcel Monsanto, a expliqué M. Niemi.

La Commission réclame ainsi 170 000 $ à la Ville de Terrebonne en dommages moraux et punitifs, tandis que les 18 policiers impliqués dans ces interceptions, survenues entre septembre 2018 et avril 2021, sont appelés à remettre chacun une compensation financière à M. Monsanto, pour un total de 35 000 $.
« Harcèlement discriminatoire »

Chaque fois que Pierre Marcel Monsanto a été interpellé, il était au volant de la voiture enregistrée au nom de sa conjointe. Les policiers ont ainsi utilisé le motif qu’il conduisait le véhicule d’une autre personne pour l’intercepter sur la route, ce que n’interdit pas le Code de la sécurité routière.

La CDPDJ constate cependant que les interpellations policières répétées démontrent que M. Monsanto a subi du « harcèlement discriminatoire » de la part d’agents de la police de Terrebonne. L’action de la CDPDJ mentionne d’ailleurs que 14 des 15 interceptions routières qui ont fait l’objet de plaintes du résident de Terrebonne sont survenues en moins d’un an, entre septembre 2018 et mars 2019. Le numéro inscrit sur la plaque d’immatriculation des véhicules conduits par M. Monsanto aurait par ailleurs fait l’objet de recherches dans les bases de données policières à 83 reprises dans la période ciblée.

« Vous imaginez être interpellé chaque fois que vous conduisez le véhicule de votre conjointe pour aller faire les courses, mener vos enfants à l’école ou à la garderie ? » a lancé Pierre Marcel Monsanto, qui a confié vivre beaucoup d’anxiété depuis son arrivée à Terrebonne, en 2018. Il demeurait auparavant en Alberta, où il n’a pas vécu de telles interceptions policières répétées, affirme-t-il.

« J’espère que les tribunaux vont déclarer que ce genre d’interpellation est non seulement discriminatoire, mais aussi illégale », a ajouté M. Monsanto, qui envisage de quitter Terrebonne, où il demeure avec sa famille. « Je ne me sens pas en sécurité. Je me sens comme un citoyen de seconde zone », a-t-il laissé tomber. Il n’est d’ailleurs pas le seul à se sentir ainsi à Terrebonne.

« Je connais des gens qui ont vécu les mêmes histoires, les mêmes affaires que moi », mais qui n’osent pas dénoncer, a précisé M. Monsanto. Ce dernier a d’ailleurs reçu de nombreux constats d’infraction au cours de ces interceptions routières, entre autres parce qu’il aurait refusé à certaines reprises de répondre aux questions des policiers.
Un motif contesté

À la fin d’octobre, le juge de la Cour supérieure Michel Yergeau a déclaré illégales les interceptions routières sans motif réel, celles-ci étant souvent accompagnées de profilage racial. Une décision que le gouvernement du Québec a décidé de porter en appel. Des policiers continuent entre-temps de mener des interceptions routières auprès d’hommes noirs en invoquant le motif que ceux-ci conduisent un véhicule appartenant à une femme.

« C’est inacceptable, a lancé Fo Niemi mercredi. On veut mettre fin à la pratique policière discriminatoire d’interpeller des conducteurs noirs parce qu’ils conduisent un véhicule enregistré au nom d’une femme, qui peut être leur conjointe, leur femme, leur soeur, leur mère. »

Dans sa requête devant la Cour supérieure, la CDPDJ demande notamment à la municipalité de mettre en oeuvre une politique visant à lutter contre le profilage racial et d’en assurer la diffusion au sein de son corps de police.

Jointe par Le Devoir, la Ville de Terrebonne a refusé de commenter « les allégations précises » inscrites dans cette action, ce dossier étant toujours « devant les tribunaux ». La Ville rappelle toutefois par courriel que son corps de police s’est engagé en 2021 à offrir à ses citoyens et à ses employés « un environnement exempt de toute discrimination », y compris celles basées sur l’origine ethnique et le sexe, de même que « toute autre différence pouvant mener à l’isolement et/ou à une différence de traitement ».

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