Les parallères entre la tuerie de Polytechnique et le massacre de la mosquée de Québec

Mélissa Blais, spécialiste du féminisme et des mouvements antiféministes, poursuit ses recherches postdoctorales à l’Institut d’études sur la citoyenneté de l’Université de Genève. Elle a publié J’haïs les féministes. Le 6 décembre 1989 et ses suites(Remue-Ménage).

L’attentat contre la mosquée à Québec, exceptionnel à l’échelle occidentale, s’est produit dans une ville où vit une minuscule communauté musulmane. Comment expliquez-vous cette paradoxale exception ?

Je ne crois pas à l’exception. Cet attentat s’inscrit dans un continuum de violence. Évidemment, c’est une violence extrême. On peut établir un parallèle avec l’attentat de Polytechnique : Marc Lépine a commis une violence terrible et extrême à l’endroit de femmes. Sauf que, si on l’inscrit dans un continuum de violence, on voit très bien qu’il y a un problème de société quant aux violences faites aux femmes. Et c’est la même chose encore : on est au bout d’un spectre. D’ailleurs, la violence a continué après l’attentat, par exemple avec l’incendie de la voiture d’un des membres de la communauté musulmane. Documenter le continuum permet de constater l’étendue du problème des manoeuvres avant et après un attentat.

Qu’y a-t-il à dire sur la manière de nommer ou de conceptualiser l’événement ?

Le refus de nommer les choses fait partie du procédé d’occultation. Je m’interroge sur le refus d’utiliser le terme « attentat terroriste ». C’est encore d’actualité pour Polytechnique. On refuse d’utiliser ce terme pour qualifier l’attentat du 6 décembre 1989. Je sais que certaines définitions brouillent les cartes, surtout la définition juridique. Pourtant, selon la définition sociologique, l’attentat terroriste désigne le crime motivé par des raisons politiques ou idéologiques contre une communauté. En refusant de parler d’attentat, on refuse de penser le problème en amont, qui est de l’ordre du sexisme ou du racisme.

En aval, quels parallèles établissez-vous ?

Les féministes ressentent qu’il y a eu un avant et un après-Polytechnique, qui a permis d’ouvrir les vannes. Des hommes s’étaient ensuite autorisé un déferlement antiféministe. De même, on doit s’interroger sur la peur produite dans la communauté musulmane. Ses membres se méfient-ils de prendre la parole publiquement, de se présenter à la prière ? Des effets persistent dans le temps d’un attentat terroriste à l’autre.

Dans un texte publié sur Facebook le 31 janvier 2017, deux jours après l’attentat, vous prédisiez le dénigrement de la thèse de l’attentat, comme après la tuerie de Polytechnique. L’observez-vous ?

Le dénigrement consiste à rejeter la faute de l’événement sur les victimes, à dénigrer la communauté ciblée par l’attentat. On l’a vu après Polytechnique : les féministes étaient tenues pour responsables, parfois indirectement, par exemple en expliquant que Marc Lépine n’arrivait pas à se lier d’amitié avec les femmes, qu’il souffrait et était en désarroi et que peut-être le féminisme était allé trop loin.

À Québec, à chaud, on a fait le portrait du tireur isolé et misérable, mais je n’ai pas refait l’examen. Cette perspective s’inscrit dans un rapport de domination. On parle d’un homme blanc qui appartient à la majorité qu’il vient remettre en question. C’est d’ailleurs ce qui dérange autant certains chroniqueurs : ce tueur remet en question nos propres rapports à la marginalité subalterne. C’est très utile de psychologiser un tueur. Ça permet de le ramener à un rôle exceptionnel et de ne pas penser sociologiquement à ce qu’il dévoile de notre société.

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