Je marchais dans la ville
Ils m'ont écrasé le visage contre le mur de brique
Ils ont fouillé mes poches et mon sac
Ils ont noté mes informations personnelles
Le lendemain matin ils nous ont réveillés avec leurs armes
Ils étaient entrés dans le gymnase
Ils nous ont interdit de bouger pendant quatre heures
Sans boire une gorgé d'eau sans manger ni aller aux toilettes
Mon frère s'est levé et a vomi
Ils nous ont fait sortir les uns après les autres
Ils nous ont menottés aux mains et aux pieds
Nous ont pris en photo
Ils nous ont mis dans un fourgonnette blindée
pour nous amener à l'autre bout de la ville
On se cognait à un mur puis à l'autre du blindé à chaque virage
Attachées aux mains et aux pieds
Des filles tombaient par terre
C'était la canicule
Nous suffoquions
Nous étions coupables d'assemblée illégale
Le véhicule s'est arrêté
À travers les murs on entendait une foule crier
Des gens frapper sur du métal
Un tonnerre de bruits de métal
La foule semblait crier pour demander de la nourriture
Ils nous ont laissées enfermées dans le véhicule pendant une heure
À suffoquer dans le noir et la chaleur étouffante
Ils ont ouvert les portes
Nous étions dans un ancien entrepôt de décors de cinéma
Ils avaient commandé des cages de métal
Avec des toilettes chimiques
Chaque cage était séparée des autres par des feuilles de tôle
Ils avaient construit des murs, des sections dans l'entrepôt énorme
Le processus avait ses étapes, avait été entièrement réfléchit
Dans la première cage nous étions plus d'une vingtaine de filles
Des militantes, des queers, des curieuses, des étudiantes, une activiste, des mères de famille,
des qui avaient étés arrêtées au coin de la rue en allant téléphoner, des femmes de tous les âges et de tous les genres
L'une d'entre elle avait besoin de ses médicaments
Elle était sur le point de s'évanouir
Nous avions les mains attachées serrées avec des tie-wraps
L'air climatisé congelait l'espace
Le plancher de béton était glacé
Il n'y avait qu'un banc trop petit pour se coucher
Une toilette chimique sans porte et sans papier
Et des verres de styromousse qui jonchaient le sol
Au bout de quelques heures
Tout le monde criait dans toutes les cellules
Ou pleurait
Des gens se pètaient des psychoses par manque de médication
Un homme à fauteuil roulant était passé menotté aux pieds
De temps à autre on voyait passer des nouveaux à travers les cages
Tout le monde frappaient les grillages pour l'accueillir et les feuilles de tôles qui nous séparaient faisaient un tintamarre d'enfer
Les policiers se foutaient de nos gueules dès qu'on leur demandait quoique ce soit
Ils bouffaient du chocolat devant nous et nous narguaient
Parfois, entre les cages, certains se mettaient à dix pour hurler un nom en l'air
Cinq secondes plus tard, on entendait dix autres s'étant mis ensemble pour répondre à l'appel
Des frères et des soeurs s'appelaient, des amoureux, des amis
Ils m'ont sortie pour m'amener dans une autre section
Ils m'ont ordonné de me déshabiller
Dans une salle rudimentaire en presswood sans porte
Ils ont pris mes empruntes digitales et ma signature
Ils m'ont dis que j'étais coupable de conspiration
Puis m'ont ramenée dans une autre cage avec d'autres filles
Nous n'avions pas le droit de parler à un avocat
Ni de faire d'appel
Les policiers nous narguaient toujours
Mangeaient devant nous
Nous amenaient des tranches de pain blanc et une tranche de fromage kraft chaque douze heure
Nous n'en mangions même plus
Nous ne dormions pas
Nous ne savions plus le nombre d'heures depuis notre arrestation
Douze heures ou deux jours ?
Nous avions complètement perdu le sens de la temporalité
Claquer des dents de froid pendant combien de jours ?
Sous le néon constant et l'air climatisée
Le temps ne passait plus
Ils nous changeaient souvent de cellule
C'est tout ce qu'ils faisaient
Ils ne comprenaient rien
Ils nous disaient n'importe quoi
Nous faisaient toujours des faux-espoirs
Qui se brisaient à chaque changement de cellule
Ils venaient crier des noms
Et une à une toutes elles partaient
Sauf moi
Ils nous ont remises dans le blindé pour encore nous déplacer ailleurs
Nous voulions obsessivement savoir quand serait le procès
La fin du cauchemard
Comme si nous n'y croyions plus
Il n'y avait plus rien là-bas que nous aurions pu croire
Ils nous ont envoyé dans un centre de détention de femmes
C'était de pire en pire
Elles nous ont confisqué nos vêtements et vêtues de cotton watté vert forêt
Nous ont confisqué nos souliers
M'ont coupé les cheveux pour en enlever les bijoux
Ont forcé pendant une demi-heure sur l'anneau dans mon nez, sans succès
Ont jeté mes effets personnels à la poubelle devant mes yeux et ont mis le reste dans un immense ziploc
Elles m'ont posé toutes les questions
Notant chaque réponse sur une grille
Elles étaient plus que rudes avec nous
Nous étions une dizaine de filles dans une cellule de cinq pieds carrés
Nous sommes restées là plusieurs heures
Puis elles nous ont remises dans le blindé
Pour ailleurs, mais nous savions qu'encore, ce serait pire
Les cellules du palais de justice
Il n'y avait personne
D'un côté il y avait une trentaine de filles dans un cellule
Dans l'autre une dizaine
Mais personne ne passait jamais
Il faisaient toujours aussi froid
Le néon trahissait toujours la temporalité
Empêchait de dormir
Coupait l'appétit
Ils ne nous apportaient plus rien à manger d'ailleurs
Nous ne pleurions même plus
Ils nous avaient dit : le procès, aujourd'hui
Mais comme la juge était fatiguée
Elle remit tout au lendemain
On se remit à crier
Personne ne vint
En toute une nuit
Au matin ils se remirent à appeler des noms qui
peu à peu
quittaient pour dehors
pour dehors vraiment ?
Le procès dans un cubicule vitré menotté aux pieds et aux mains
Théâtre incompréhensible dont tu n'es que le spectateur
Ton propre procès
Personne ne comprend plus rien
En te sortant ils font gaffe de te serrer le bras bien comme il faut
Et dehors : des amis des accolades et des clopes
Mais dehors : toujours la prison
À L'EXTÉRIEUR DES MURS DES PRISONS :
LA PRISON