Le climat s’envenime entre le BEI et les syndicats de policiers

Le torchon brûle entre le Bureau des enquêtes indépendantes (BEI) et la Fédération des policiers et policières municipaux du Québec (FPMQ), à la suite de la publication par le Globe and Mail de données fournies par le BEI sur les refus des policiers municipaux de répondre aux questions de ses enquêteurs.

Le quotidien torontois rapportait en début de semaine que l’écrasante majorité des policiers municipaux qui sont impliqués dans un événement où le BEI est appelé à enquêter refusent de répondre aux questions des enquêteurs.

Le litige émane d’un affrontement juridique dans lequel les syndicats de policiers contestent l’obligation qu’ont leurs membres de fournir un rapport au BEI et de rencontrer ses enquêteurs lors d’événements où le Bureau doit intervenir.

Le BEI a été créé pour enquêter lorsqu’une intervention policière cause la mort d’un citoyen ou des blessures. Les policiers impliqués et les policiers qui ont été témoins de l’événement, qui ont des statuts différents selon le règlement qui encadre ces enquêtes, sont obligés de « rédiger de manière indépendante, notamment sans consultation et sans influence, un compte rendu exact, détaillé et exhaustif portant notamment sur les faits survenus lors de l’événement » et de « rencontrer les enquêteurs du Bureau ».
Victoire syndicale suspendue

La Fédération des policiers municipaux et la Fraternité des policiers de Montréal ont remporté en juin 2022 leur cause devant la Cour supérieure, le juge Marc St-Pierre déclarant notamment que les policiers qui sont impliqués dans un événement qui mène à une enquête du BEI n’ont pas à remettre de rapport à celui-ci et qu’ils ont le droit de garder le silence. Dans les deux cas, cette décision se base sur le droit constitutionnel des policiers de ne pas s’auto-incriminer.

Cependant, cette décision a été portée en appel par le gouvernement du Québec, de sorte que ses effets sont suspendus et que les policiers doivent toujours remettre leur rapport au BEI et rencontrer ses enquêteurs jusqu’à ce que le litige soit tranché sur le fond. Sauf que, comme le rapporte le BEI, ils refusent massivement de répondre aux questions de ses agents lors des rencontres.
Aucune directive

La Fédération des policiers municipaux se défend toutefois d’avoir donné quelque directive ou mot d’ordre à ses membres. Dans un courriel à La Presse canadienne, sa porte-parole, Annick Charest, précise que « le seul conseil que la FPMQ a formulé à ses membres lors d’une enquête du BEI est de communiquer avec leur avocat sans délai. Par la suite, il est du ressort de la stratégie entre le policier impliqué et son avocat de voir s’il répond, ou non, aux questions du BEI ».

Par contre, la Fédération digère très mal le fait que le Bureau des enquêtes indépendantes ait commencé à recueillir des statistiques sur les refus de répondre de ses membres, alors que ceux-ci continuent à fournir des rapports. « Nous sommes surpris de la réaction du BEI sachant que tous les policiers ont l’obligation de fournir un rapport détaillé de leurs interventions à chaque enquête. À la suite de la rencontre entre les policiers impliqués et leurs procureurs, c’est à ce moment qu’il sera déterminé s’ils doivent préciser des choses en répondant aux questions du BEI ou si tout semble complet et qu’ils n’ont rien d’autre à ajouter. »
« Acharnement du BEI »

La Fédération et sa plus importante Fraternité, celle des policiers de Montréal, sont à l’origine de la contestation judiciaire. Et la question en litige, selon Mme Charest, n’est pas anodine. « Tous les policiers des autres provinces au Canada lors d’une enquête de ce genre ont droit au silence et nous ne comprenons pas l’acharnement du BEI — qui est un corps de police, rappelons-le — à vouloir priver nos policiers québécois de ce droit fondamental accordé par la Charte des droits et libertés. »

Bien que la FPMQ se défende d’avoir lancé un mot d’ordre, les données du BEI sont éloquentes : entre le moment du jugement St-Pierre en juin 2022 et la fin de mai 2023, 100 % des policiers de 6 corps municipaux sur 13 ayant fait l’objet d’enquêtes ont refusé de répondre à ses enquêteurs, dont ceux de Longueuil, Laval, Trois-Rivières et Saguenay. Dans le cas de cinq autres corps, le taux de refus varie de 50 % à plus de 88 %, ce dernier taux étant celui des policiers de Montréal.
Pas d’unanimité

Fait à noter, deux syndicats de policiers font bande à part. Les policiers de la Ville de Québec, dont la Fraternité est la plus importante de la FPMQ derrière celle de Montréal, n’ont pas suivi le mouvement. Les données du BEI montrent que les policiers du SPVQ ont répondu aux enquêteurs du BEI dans 100 % des cas, et ce, même si leur Fédération est partie prenante au litige.

« Il n’y a pas de mot d’ordre et il n’y a pas d’opposition de notre part à une consigne quelconque. Nous faisons partie de la Fédération des policiers municipaux et on adhère à ses positions », a affirmé la présidente de la Fraternité des policiers et policières de la Ville de Québec, Martine Fortier, en entrevue avec La Presse canadienne. Ironiquement, elle attribue ce résultat aux mêmes raisons que les résultats contraires des autres syndicats de la Fédération : « C’est certain que ça découle des conseils qui leur sont prodigués par leur avocat. »

De son côté, le syndicat de la Sûreté du Québec, le plus important corps policier au Québec, ne fait pas partie des requérants qui cherchent à casser le règlement du BEI devant la Cour. L’Association des policières et policiers provinciaux du Québec (APPQ) n’a requis que le statut de « mis en cause », et ce, bien que ses membres soient aussi soumis au règlement qui encadre le BEI. Son président, Jacques Painchaud, a indiqué dans un courriel à La Presse canadienne que « nous n’avons pas eu de cas spécifique permettant d’aller directement au recours. Par ailleurs, nous sommes mis en cause parce que nous avons un intérêt juridique dans ce dossier ».

Cependant, les statistiques du BEI montrent que dans tout près de 95 % des cas, les policiers de la SQ impliqués dans une enquête du BEI ont répondu aux questions de ses enquêteurs. Pourquoi ? « Nous n’avons pas de commentaires sur ce sujet », répond M. Painchaud.
Relations tendues depuis longtemps

Les relations entre le BEI et tous les corps policiers du Québec, y compris la SQ et le SPVQ, peuvent certainement être qualifiées de difficiles. Le BEI a fait parvenir à La Presse canadienne pas moins de 22 lettres envoyées par la direction du Bureau aux directeurs et directrices de différents corps policiers entre 2018 et 2023 leur reprochant de ne pas s’être conformés aux procédures dans les cas d’enquêtes, surtout pour avoir traîné la patte, soit pour aviser le BEI d’un événement, soit pour remettre des rapports.

Dans une de ces lettres, datée du 18 octobre dernier en marge d’un événement survenu à Montréal en juin, le directeur du BEI, Me Pierre Goulet, rappelle à la directrice intérimaire du SPVM à l’époque, Sophie Roy, que le règlement « exige du policier impliqué ou témoin qu’il rédige, signe et remette son compte rendu aux enquêteurs du Bureau des enquêtes indépendantes dans les 24 heures suivant l’événement ».

Il poursuit en lui faisant part « d’un comportement systématique », soit que depuis le jugement St-Pierre, « les policiers impliqués et témoins refusent systématiquement de répondre à nos questions ».

Le directeur trouve « pour le moins regrettable que des policiers ayant été témoins d’événements au cours desquels des personnes ont subi des blessures graves ou sont décédées refusent de participer à un exercice qui cherche à éclaircir et à préciser certains détails de l’opération policière. […] La population est en droit de s’attendre à mieux de la part de nos policiers que tous respectent ».

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