Luttons contre les violences genrées : définançons la police

Définançons la police. C’est une affirmation que beaucoup trouveront controversée, car nos institutions, nos gouvernements et les médias de masse nous ont martelé que la police existe pour nous protéger et assurer l’ordre.

Une telle vision de la police efface pourtant le passé colonial et esclavagiste du Canada, y compris du Québec, où la police a historiquement agi et continue de le faire, comme un agent de répression et de violence de l’État.

Les féministes abolitionnistes Noires ont réalisé un immense travail de documentation sur les origines de la police et sur comment, au travers de la surveillance, du contrôle et de la violence sexuelle, cette institution assure la reproduction du système patriarcal et suprémaciste blanc. Ainsi des auteures et activistes telles que Mariame Kaba, Andrea Ritchie, Robyn Maynard ou encore El Jones soulignent les liens entre la violence étatique et la violence sexuelle.

Elles affirment que jamais nous ne trouverons des réponses à la violence genrée par l’usage de plus de police, de prisons ou de système punitif. En fait, elles démontrent comment la violence policière à l’égard des femmes racisées se produit de manière disproportionnée et avec une fréquence alarmante dans le cadre des réponses à la violence conjugale et sexuelle.

Cette réflexion trouve toute sa pertinence alors que nous sommes en plein dans la campagne annuelle des 12 jours d’action contre les violences genrées.
Un mouvement né du parcours des personnes survivantes

Mon parcours et mon expérience en tant que survivante et militante m’ont illustré comment la police participe à la perpétuation de la violence genrée. Ayant été travailleuse et consultante pour des groupes qui œuvrent auprès des personnes survivantes de violence sexuelle et conjugale, j’ai travaillé avec des communautés qui font face à une vulnérabilité accrue et systémique à ces violences genrées.

Pour la majorité des personnes survivantes issues de ces communautés, porter plainte à la police ne constitue pas une option. De multiples raisons expliquent ce fait : peur d’être criminalisée, historique de violence étatique liée au racisme systémique, au colonialisme, au capacitisme, à l’homophobie et à la transphobie, pour n’en citer que quelques-unes.

Pourtant, force est de constater que les partenariats entre les organisations féministes et la police semblent plus populaires que jamais. En février 2022, le Service de police de la Ville de Montréal a annoncé sa collaboration avec la Table de concertation en violence conjugale de Montréal (TCVCM) dans le cadre de la nouvelle Cellule d’action concertée en violence conjugale de Montréal (C-A-C-VC de Montréal).

Certaines personnes trouveront le discours abolitionniste irréaliste, mais le mouvement pour l’abolition de la police et des prisons a été fondé et porté par des personnes survivantes de multiples formes de violence. Ce mouvement est né de la conscience que la police et encore moins les prisons ne peuvent prévenir ou éliminer ces violences.

La police ne prévient pas la violence, elle y répond après coup, avec sa propre violence.

Au contraire, la police perpétue la violence genrée, non seulement contre les personnes Autochtones, mais aussi contre les personnes Noires, les personnes en situation d’itinérance, en situation de handicap, les personnes trans et les travailleuses de sexe, les personnes migrantes, entre autres. Cette violence peut aller de l’incarcération à la perte de la garde des enfants, en passant par la perte de logement, d’emploi ou d’aides sociales.

L’usage renforcé de la criminalisation comme réponse à la violence genrée a d’abord pour conséquence que des communautés déjà sur-criminalisées demeurent sans accès à des ressources de soutien indispensables pour être en sécurité et sortir de la violence, comme de l’aide psycho-sociale, de l’aide financière d’urgence et un logement sécuritaire.

Mais en plus, la criminalisation dissuade les personnes agresseures de se responsabiliser de la violence commise. Ainsi une majorité de survivantes expriment le désir que la personne qui les a victimisées reconnaisse la violence commise, se responsabilise et répare le tort subi.
Reprenons la lutte contre les violences genrées

Il fut un temps où le mouvement contre les violences genrées était critique envers les institutions de l’État, la police, et les cours de justice. Il fut un temps où le mouvement agissait en dehors du cadre institutionnel, faisait contrepouvoir à l’État et opérait sur la base de l’aide mutuelle afin de produire une transformation sociale. Les mots de la prisonnière politique Susan Saxe trouvaient une résonance dans les actions menées : « mon féminisme ne me pousse pas dans les bras de l’État, mais encore plus loin de lui ».

Bien que les organismes dans le secteur de la violence genrée restent encore critiques du système judiciaire, la plupart estiment qu’il est nécessaire de bâtir des relations et d’améliorer les liens avec la police. Les collaborations et partenariats avec les forces de l’ordre, menés sous prétexte d’avancer les luttes féministes, vulnérabilisent les personnes survivantes à la croisée des violences étatiques et genrées. La collusion entre le mouvement contre les violences faites aux femmes et la police élargit la machine carcérale.

Le système carcéral perpétue les violences genrées et nous empêche de nous concentrer sur les besoins des survivantes et la guérison.

Et si on croyait qu’il était possible de transformer nos communautés pour les guérir de la violence genrée? Est-ce qu’on se limiterait à faire la gestion de la violence? Est-ce qu’on ferait appel aux mêmes systèmes qui reproduisent la violence? Et si on investissait dans des ressources qui s’attaquent aux racines du problème pour le prévenir?

L’abolition n’est pas seulement un processus de démantèlement, c’est aussi un processus d’imagination, de création du monde que nous voulons à la place du colonialisme, du capitalisme racial, du capacitisme, du patriarcat, maintenus par le système carcéral. Comme l’a écrit la poétesse féministe noire Lucille Clifton : « Nous ne pouvons pas créer ce que nous ne pouvons pas imaginer ».

Les communautés reléguées aux marges nous ont appris de précieuses leçons sur la sécurité. Le système carcéral perpétue les violences genrées et nous empêche de nous concentrer sur les besoins des survivantes et la guérison. La police ne prévient pas la violence, elle y répond après coup, avec sa propre violence.

L’activiste et féministe Noire Andrea J. Ritchie nous rappelle que nous ne pouvons pas continuer à laisser à d’autres le travail d’imaginer de nouveaux systèmes et de mettre en pratique de nouveaux mondes. Nous devons faire de ce travail une partie de nos actions quotidiennes, même en combattant la violence du monde actuel.

Auteur·e
Marlihan Lopez
Marlihan Lopez est coordinatrice des programmes et de l'engagement communautaire à l’Institut Simone de Beauvoir de l’Université Concordia et cofondatrice de Harambec - Renaissance du Collectif Féministe Noir. Elle est l’ancienne vice-présidente de la Fédération des femmes du Québec.

Catégories

Corp policier (SPVM, SQ, GRC, agent de la STM, etc): 

Ville où l'événement s'est produit: 

Type de document: 

dossier: