Les manifestant·es pro-Palestine à la merci de la répression policière

En cette Journée internationale contre la brutalité policière, Pivot fait le point sur la présence du SPVM lors de rassemblements pro-Palestine.

Depuis le mois d’octobre, les manifestations pro-Palestine à Montréal ont généré une forte présence policière. Pivot s’est entretenu avec des témoins et une avocate qui dénoncent la violence et le double standard des forces de l’ordre à l’endroit de ceux et celles qui défendent les droits des Palestinien·nes.

Le 4 mars dernier, une centaine de manifestant·es se sont rendu·es à Côte-des-Neiges, devant les bureaux de la Fédération CJA, une organisation sioniste à Montréal, où se tenait l’événement « La perspective israélienne prend vie », une conférence donnée par trois réservistes de l’armée d’Israël.

Une centaine de personnes se sont rassemblées afin de bloquer l’entrée du bâtiment et dénoncer les violences en cours à Gaza.

Danah, une jeune étudiante qui est également membre du Groupe de solidarité pour les droits humains des Palestiniennes et Palestiniens (SPHR) de l’Université Concordia était responsable d’assurer la sécurité des manifestant·es et portrait un dossard cette journée-là.

Au début, « c’était très pacifique », rapporte-t-elle. « Tout le monde de notre côté était bras dessus, bras dessous devant les portes. »

Plusieurs policiers en tenue anti-émeute étaient sur place, alors que de l’autre côté du chemin de la Côte-Sainte-Catherine, un petit groupe de contre-manifestant·es pro-Israël se forme. Selon plusieurs témoins, certains d’entre eux auraient traversé la rue pour s’en prendre aux manifestant·es pro-Palestine.

« Ils ont attaqué deux de mes amis, en les empoignant par le keffieh afin de les jeter par terre dans la rue », raconte Danah.

Elle ajoute que les autres manifestant·es sont resté·es sur le trottoir, derrière les lignes de sécurité. « C’était mon travail d’assurer que les gens restent sur le trottoir. C’était intense, mais c’était sous contrôle », assure-t-elle.

« Je vais tous vous asperger! » aurait pourtant crié l’un des policiers avant de relâcher un irritant chimique en direction des manifestant·es qui se tenaient derrière Danah.

« Il était à un pied de mon visage », relate-t-elle. « C’est allé directement dans mes yeux. »

« Le pire, c’est qu’on faisait leur travail : on assurait que les gens n’aillent pas dans la rue, on ne les provoquait pas, je portais un dossard… »

Des vidéos qu’a pu visionner Pivot montrent qu’après l’altercation, des policiers raccompagnent les manifestants pro-Israël de l’autre côté de la rue, sans procéder à leur arrestation.

Du côté pro-palestinien, deux personnes, âgées de 20 et 32 ans ont été arrêtées par les policiers, a indiqué le SPVM, sans fournir plus de détails. « Et ce sont eux qui ont été attaqués par les contre-manifestants! », s’indigne Danah.
Injures et profilage

Le regroupement d’avocats Lawyers 4 Palestine n’était pas sur place lors de la manifestation du 4 mars, mais entretenait un contact à distance avec les organisateur·trices tout au long des événements. L’organisation a recueilli et examiné plusieurs enregistrements vidéos de l’altercation.

« Ce qu’on peut observer à travers les vidéos, c’est qu’il y a clairement une différence dans le comportement des policiers, il y a un double standard. Ils sont beaucoup plus tolérants des sionistes », affirme une avocate membre de Lawyers 4 Palestine qui a préféré demeurer anonyme par peur de représailles.

Cela est peu surprenant, pense-t-elle, lorsqu’on sait que le SPVM cible disproportionnellement les communautés racisées, notamment dans le cadre d’interpellations routières.

« Les policiers ne sont pas là pour nous aider, pour collaborer avec nous. »
Lawyers 4 Palestine

Lawyers 4 Palestine affirme par ailleurs avoir reçu plusieurs témoignages de personnes ayant fait l’objet de propos racistes. Par exemple, un agent aurait traité un manifestant de « terroriste », affirmant qu’il n’avait « pas de droits » et qu’il devrait « retourner conduire des Ubers ».

Dans un courriel, le SPVM a assuré faire « preuve de neutralité dans ses interventions ».

« Notre rôle est de s’assurer que les manifestations se déroulent dans la paix, le bon ordre, la sécurité des personnes et des biens, et qu’elles se fassent dans le respect des lois et règlements en vigueur ainsi que de la Charte des droits et libertés », indique-t-on.

Lawyers 4 Palestine rappelle que les personnes qui ont été victimes de violence, d’abus ou de discrimination par des policiers peuvent entamer des poursuites judiciaires jusqu’à trois ans après l’incident. Des causes peuvent également être portées par la Commission des droits de la personne et de la jeunesse au Tribunal des droits de la personne.

On recommande également aux citoyen·nes de prendre des photos des visages des policiers et de leur matricule.
D’aucune aide

Danah rapporte un autre incident, survenu quelques heures avant ces événements. En se rendant au point de rencontre de la manifestation, une voiture aurait délibérément heurté un manifestant qui portait le keffieh.

« Le conducteur a intentionnellement roulé sur son pied avant de filer », raconte l’étudiante qui est restée auprès de la victime en attendant l’arrivée des policiers.

Cette fois les policiers n’interviennent que minimalement. « Quand ils sont arrivés, ils étaient très impolis avec nous », relate Danah. « Ils roulaient des yeux dès qu’on parlait. »

Selon Danah, les agents auraient indiqué ne rien pouvoir faire pour elle et la victime, recommandant plutôt d’appeler une ambulance. Ils auraient également affirmé ne pas considérer l’événement comme un crime haineux potentiel.

« On a décidé de ne pas déposer une plainte avec eux, et de plutôt nous rendre au poste de police le lendemain. »

Lorsqu’elle a reçu un appel de la part d’un policier, le surlendemain, Danah se tenait prête à donner sa version des faits. Au lieu de lui poser des questions sur le délit de fuite qu’elle dénonçait, le policier l’aurait plutôt interrogé au sujet de sa participation à la manifestation.

« Les policiers ne sont pas là pour nous aider, pour collaborer avec nous », rappelle Lawyers 4 Palestine. « Si on est victime de quelque chose lors d’une manifestation, oubliez ça. »
Police sur le campus

Le 22 février dernier, sur le campus de l’Université McGill, des étudiant·es ont dénombré la présence de 19 véhicules de police, y compris trois fourgons anti-émeute et un fourgon d’arrestation. Une vingtaine d’agents de police, quinze agents anti-émeute et deux polices montées étaient également présents, selon le décompte des étudiant·es.

Quelque 200 étudiant·es manifestaient en bloquant les portes du bâtiment Bronfman où se trouve la faculté de gestion Desautels, afin de dénoncer les liens de celle-ci avec Israël.

« Nous bloquions l’entrée du bâtiment en réponse à un génocide qui a tué plus de 30 000 personnes, dans lequel notre Université et son administration sont directement complices », explique une représentante du groupe SPHR de l’Université McGill qui a souhaité demeurer anonyme pour éviter des représailles.

« Mais au lieu d’écouter les demandes des étudiants, qui ont été clairement articulées, et de permettre cette expression politique, notre administration a permis et facilité la présence intimidante et menaçante des policiers. »

Dans un courriel diffusé à l’ensemble des étudiant·es et du personnel après la manifestation du 22 février, le recteur et vice-chancelier de McGill, Deep Saini, a qualifié « d’inacceptable » l’action qui a forcé des cours à se tenir en ligne. « Nous ne tolérons pas que les activités de l’Université soient interrompues ou perturbées par des manifestations, quelle que soit la cause portée par les manifestants », peut-on lire.

Le recteur indique par la suite que dans l’éventualité où des étudiant·es refuseraient d’obtempérer aux demandes des agent·es de sécurité de l’université, il n’hésitera pas à faire appel à la police.

Dans un enregistrement vidéo publié sur la page Instagram de SPHR McGill, le doyen à la vie étudiante, Robin Beech, affirme qu’il compte faire appel à la police et qu’il ne pourra pas contrôler les actions des forces de l’ordre une fois sur place.

« À un moment, les membres de l’administration qui étaient présents sont partis et nous ont laissés à la merci des policiers », raconte la représentante de SPHR McGill. Selon le groupe, les policiers auraient poussé et menacé des étudiant·es.

« La présence de la police sur les campus ne fait pas que mettre en danger les personnes marginalisées […] ça promeut aussi cette idée selon laquelle ceux parmi nous qui demandent la fin du génocide sont dangereux et criminels. »
Danah, SPHR Concordia

« On s’y attendait, dans le sens que, bien sûr [les policiers] vont tenter de nous intimider », raconte-t-elle. « Mais c’était une présence policière sans précédent depuis [la grève étudiante de] 2012. » Cela est particulièrement problématique pour les étudiant·es racisé·es qui sont beaucoup plus fréquemment ciblé·es par la violence policière, déplore-t-elle.

« C’est très préoccupant », explique l’avocate de Lawyers 4 Palestine. « Parce qu’en ayant des policiers sur les [campus], on insinue que le mouvement pro-palestinien est un mouvement qui est dangereux, que c’est un mouvement qui peut escalader à n’importe quel moment. »

« La présence policière sur le campus est extrêmement rare », contextualise la représentante de SPHR McGill.

« Dès le première manifestation que nous avions organisée [après le 7 octobre], on avait déjà quelques agents de police qui étaient là. Ce n’était pas une présence significative, mais c’était quand même étrange. »

« La présence de la police sur les campus ne fait pas que mettre en danger les personnes marginalisées […] ça promeut aussi cette idée selon laquelle ceux parmi nous qui demandent la fin du génocide sont dangereux et criminels », ajoute Danah.

Selon elle, la présence policière sur les campus est également demandée par des étudiant·es, notamment faisant partie de groupes pro-Israël.

« Ils savent que si les policiers sont plus présents dans les universités, nous serons pris pour cibles de manière violente », explique-t-elle. « Il faut qu’il y ait plus d’attention là-dessus, sur le fait qu’il y a des étudiants qui utilisent ce système pour mettre en danger leurs camarades de classe. »

« Les universités sont des établissements qui ont pour but d’éduquer les gens, de défendre la liberté d’expression », explique l’avocate de Lawyers 4 Palestine. Elles « ont été, dans l’histoire du monde, des centres de mouvements sociaux. »

« Ce sont des endroits qui devraient être sûrs, où on peut réfléchir, mais qui deviennent des endroits où on peut profiler racialement et politiquement les personnes, en collaboration avec la police. »

La manifestation annuelle contre la brutalité policière se tiendra ce vendredi à Montréal. Ceux et celles qui souhaitent y participer sont invité·es à se rendre au métro Beaudry à 17 h.

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